Introduction
Les câbles sous-marins constituent l’épine dorsale des communications mondiales, acheminant environ 99 % du trafic Internet international. Ces infrastructures critiques, bien que discrètes, sont devenues des enjeux géostratégiques majeurs. Récemment, des incidents en mer Baltique ont mis en lumière leur vulnérabilité, avec des câbles endommagés reliant la Suède à la Lituanie et la Finlande à l’Allemagne, suscitant des soupçons de sabotage et de guerre hybride. Face à ces menaces croissantes, la France a réagi en nationalisant Alcatel Submarine Networks (ASN), leader mondial dans la fabrication de câbles sous-marins, afin de protéger et renforcer ses infrastructures de communication vitales.
Ces événements soulignent l’importance stratégique des câbles sous-marins dans le contexte géopolitique actuel, où leur protection est devenue essentielle pour la sécurité et la souveraineté des nations.
Qu’est-ce qu’un câble sous-marin
Histoire des câbles sous-marins
Dès 1838, l’Homme essaye de poser des câbles sous les mers pour prolonger les liaisons télégraphiques déployées sur terre et devenues indispensables. En 1851, le premier câble sous-marin fonctionnel est posé, reliant la France au Royaume-Uni. Cette prouesse est rendue possible grâce à la découverte de la « gutta-percha », la sève d’un arbre poussant en Indonésie, ainsi que d’un procédé permettant de l’utiliser pour isoler un fil de cuivre. Les bourses de Londres et de Paris peuvent désormais échanger en moins d’une heure au lieu de trois jours auparavant.
Après cette première réussite, d’autres câbles vont relier l’Angleterre aux pays voisins. Certains pensent alors à réaliser un câble transatlantique pour relier l’Ancien Continent et le Nouveau Continent. La société Atlantic Telegraph Company va mener le projet, dirigée par Cyrus Field et accompagnée par des grands scientifiques de l’époque tels que Samuel Morse et William Thomson. La majorité de la communauté scientifique, tout comme le grand public pense ce projet impossible. Certains l’appellent aujourd’hui “le Programme Apollo du XIXe siècle”.
De 1857 à 1866, cinq expéditions partent en mer pour poser ce câble transatlantique mais toutes échouent. À chaque fois, Cyrus Field devra retrouver de nouveaux investisseurs prêts à financer son projet fou. En 1866, une liaison fiable, permettant de transmettre 8 mots par minute, est enfin établie entre Terre-Neuve et l’Irlande. Cet évènement est largement célébré, la presse titre que l’homme a “aboli le temps et l’espace”.
En 1869, l’exploit sera reproduit par la Société du câble transatlantique français qui relie directement la France aux États-Unis (de Brest à Boston, en passant par Saint Pierre et Miquelon).
De nombreuses autres liaisons vont être créées, reliant notamment les états européens avec leurs colonies. En 1891, le premier câble téléphonique sous-marin est posé, reliant la France à l’Écosse.

En 1902 on inaugure le premier câble transpacifique. En 1956, on fête la mise en service de TAT1, premier câble transatlantique téléphonique et 1988, la mise en service de TAT8, premier câble transatlantique à fibres optiques permettant un transfert de données numériques avec un débit de 280 Mbit/s. Aujourd’hui on estime à 500 le nombre de câbles sous-marins actifs, certains atteignant un débit de plusieurs centaines de Tbits/s soit un million de fois plus que TAT8.
Description technique d’un câble
Dans l’imaginaire collectif, les câbles sous-marins sont perçus comme de gros tuyaux à l’image des pipelines et des gazoducs. Cette image est fausse : en haute mer, le diamètre d’un câble sous-marin s’apparente à celui d’un tuyau d’arrosage.
Au centre, se trouve la fibre optique qui va transporter l’information. Un câble contient plusieurs paires de fibres optiques. Les deux fibres d’une paire permettent de communiquer dans les deux directions. « Amitié », un câble transatlantique entré en service en 2023, contient par exemple 16 paires de fibres optiques pour un débit de 320 Tbits/s. Le diamètre d’une fibre est de l’ordre de grandeur de celui d’un cheveu. Ces fibres sont enduites de vaseline et entourées par un tube de cuivre (parfois remplacé par de l’aluminium). Ce conducteur permet de faire circuler un courant électrique. Ce courant continu est de l’ordre d’1A et nécessite une tension de plusieurs milliers de volts pour les câbles les plus longs. Ce courant permet d’alimenter des répéteurs situés tous les 100 km environ. Ces derniers permettent d’amplifier le signal lumineux, ce qui est indispensable pour les câbles de plus de 400 km. De plus, en cas de coupure, les répéteurs permettent au bateau de savoir où venir faire la réparation.
Autour de ce tube sous tension se trouvent plusieurs couches d’utilité technique : une couche d’isolant en polycarbonate et une autre en aluminium. Ensuite, un toron métallique protège le câble contre la pression importante de l’eau ainsi que l’étirement qui sera également très important quand le câble sera posé et qu’il sera suspendu sur plusieurs kilomètres entre le navire câblier et le fond marin. Enfin, des polymères plastiques assurent la dernière couche de protection.
Les couches précédemment décrites sont suffisantes pour les grands fonds où le câble ne risque pas grand-chose. Près des côtes, plusieurs couches d’acier et de polymère (parfois de kevlar) sont rajoutées pour renforcer la solidité du câble. De plus, en pleine mer, le câble est simplement posé sur le fond marin. Par faible profondeur, un sillon pouvant atteindre plusieurs mètres est creusé pour que le câble y soit enfoui et recouvert. L’intégralité du tracé étant sondé avant de poser le câble, chaque section est adaptée à la nature du sol sur lequel le câble reposera.

Les acteurs du marché
Le marché des câbles sous-marins est un écosystème complexe qui implique divers acteurs. Chacun joue un rôle essentiel dans le déploiement, l’exploitation et la maintenance de ces infrastructures vitales. Les propriétaires exploitants de câbles, tels que Singtel, Orange, PCW Global, Telxius, Sparkle, Google et Meta, sont des opérateurs de télécommunications ou des consortiums internationaux qui possèdent et gèrent les câbles sous-marins. Ces entreprises investissent massivement dans ces infrastructures pour répondre à la demande croissante de connectivité mondiale et pour soutenir leurs services numériques.
Les industriels équipementiers, comme TE Subcom, Alcatel Submarine Networks, NEC et HMN Tech sont indispensables pour fournir les équipements nécessaires à la construction et à la maintenance des câbles sous-marins. Ces entreprises innovent constamment pour améliorer la technologie des câbles, garantissant ainsi des communications plus rapides et plus fiables.


Les armateurs de navires câbliers, tels qu’Orange Marine, Global Marine et Elettra jouent également un rôle clé dans la pose et la maintenance des câbles sous-marins. Ils disposent en effet de navires spécialisés capables de poser des câbles en haute mer et de réparer les coupures, qui sont souvent dans des conditions difficiles. Ces navires sont équipés de technologies avancées pour manipuler les câbles avec précision et pour intervenir rapidement en cas de problème.
Ensemble, ces acteurs collaborent pour assurer le bon fonctionnement des câbles sous-marins et garantissent ainsi la continuité des communications internationales. Leur travail est primordial pour répondre à la demande croissante de bande passante ainsi que pour sécuriser ces infrastructures critiques contre les risques de coupure et d’espionnage, inhérents à leur structure et leur fonction.
Les enjeux des câbles sous-marins
Cartographie des câbles actuels (et projets)
Les câbles sous-marins constituent l’épine dorsale des communications mondiales, transportant plus de 95 % du trafic Internet et des données internationales. Voici un aperçu de la cartographie actuelle des câbles sous-marins et des projets en cours.

Câbles actifs
Actuellement, environ 500 câbles sous-marins sont actifs à travers le monde. Ces câbles relient les continents et les pays, permettant des communications rapides et fiables. Voici quelques points clés concernant les câbles actifs :
• Transatlantique : Plus de 25 câbles relient l’Europe aux Amériques, dont 15 aux États-Unis. Ces câbles sont essentiels pour les communications entre l’Europe et l’Amérique du Nord.
• Transpacifique : Plusieurs câbles relient l’Asie à l’Amérique du Nord, facilitant les échanges commerciaux et culturels entre ces régions.
• Afrique : L’Afrique est de plus en plus connectée grâce à des câbles comme ACE (Africa Coast to Europe) et WACS (West Africa Cable System), qui relient l’Afrique à l’Europe et à l’Amérique du Sud.
• Moyen-Orient : Les câbles comme SEA-ME-WE 5 relient le Moyen-Orient à l’Europe et à l’Asie, assurant des communications vitales pour la région.
Projets en cours
Plusieurs projets de câbles sous-marins sont en cours de développement pour répondre à la demande croissante de bande passante et améliorer la connectivité mondiale :
• 2Africa : Un projet mené par Meta et plusieurs partenaires pour relier l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe. Ce câble vise à fournir une connectivité Internet plus rapide et plus fiable en Afrique.
• Grace Hopper : Un câble transatlantique développé par Google pour relier les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Espagne. Il vise à offrir une latence réduite pour les services cloud.
• Dunant : Un autre projet de Google, ce câble transatlantique vise à relier les États-Unis et la France, offrant une capacité de 250 Tbit/s.
• JUPITER : Un câble transpacifique reliant le Japon et les États-Unis, avec des ramifications vers les Philippines et l’Indonésie. Ce projet vise à améliorer la connectivité entre l’Asie et l’Amérique du Nord.
Points d’atterrissage stratégiques
Les points d’atterrissage des câbles sous-marins sont des infrastructures critiques où les câbles émergent de l’océan pour se connecter aux réseaux terrestres. Ces points sont souvent situés dans des zones sécurisées et stratégiques :
• Marseille : Un hub majeur en Europe, avec 11 câbles reliant l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie.
• Miami : Un point d’atterrissage clé pour les câbles reliant l’Amérique du Nord à l’Amérique du Sud et aux Caraïbes.
• Singapour : Un hub crucial en Asie, reliant plusieurs câbles sous-marins à travers l’Asie-Pacifique.
Défis et perspectives
La cartographie des câbles sous-marins soulève plusieurs défis et perspectives pour l’avenir. La sécurité de ces infrastructures est capitale car elles sont vulnérables aux coupures accidentelles, aux catastrophes naturelles et aux actes malveillants. Il est donc essentiel d’investir dans des technologies de protection avancées. De plus, avec l’augmentation du trafic Internet, il est impératif de développer de nouveaux câbles et d’améliorer la capacité des câbles existants pour répondre à la demande croissante de bande passante. Enfin, la gestion des câbles sous-marins pose également des questions de souveraineté et de réglementation internationale, ce qui nécessite une coopération entre les pays pour établir des cadres réglementaires communs.
En conclusion, les défis liés à la sécurité, à la capacité et à la réglementation des câbles sous-marins nécessitent une approche concertée et innovante pour garantir la pérennité et la fiabilité de ces infrastructures essentielles voire vitales.
Les risques de coupure
Sur les 500 câbles actifs aujourd’hui dans le monde, on estime qu’il y a environ 200 coupures de câble par an. Ce risque fait partie de la vie normale d’un câble. Lorsqu’il livre un câble, l’opérateur a une obligation contractuelle de réparer les coupures pendant 25 ans. Les opérateurs ont donc des bateaux pré-positionnés dans tous les océans du globe, toujours prêts à appareiller en moins de 24 h, permettant généralement une remise en service en moins d’une semaine. Cependant, compte tenu du temps de trajet et de la complexité de l’opération de réparation, la remise en service du câble peut parfois prendre un mois.
Le risque accidentel
L’écrasante majorité de ces coupures sont accidentelles. Le risque principal qui pèse sur les câbles est le risque humain. En effet, les bateaux-usines qui traînent d’énormes filets de pêche entraînent souvent la coupure de câbles. Une ancre de bateau peut également traîner sur les fonds marins et sectionner un câble.
En juin 2017, un porte-conteneurs sous pavillon panaméen a accidentellement coupé avec son ancre l’unique câble optique reliant la Somalie au reste du monde au large du port de Mogadiscio. Cette coupure a privé le pays d’accès à Internet pendant plus de trois semaines, ce qui a entrainé des pertes économiques estimées à 10 millions de dollars par jour.
Un autre exemple récent concerne le Bangladesh. En août 2020, une grue sous-marine collectant du sable dans la baie de Kuakata a accidentellement heurté le câble sous-marin SEA-ME-WE 5, principal fournisseur de bande passante internationale du pays. Cet incident a réduit de 40 % la vitesse du réseau Internet du Bangladesh. Les réparations ont nécessité plusieurs jours dont la mobilisation d’un navire spécialisé pour rétablir la connexion.
Le risque naturel
Le risque naturel est également à prendre en compte. En janvier 2020 par exemple, une avalanche sous-marine s’est produite à l’embouchure du fleuve Congo. Cet énorme glissement de terrain sédimentaire a sectionné simultanément plusieurs câbles sous-marins, perturbant sensiblement la connexion internet entre le Nigéria et l’Afrique du Sud.
Pour illustrer les risques naturels, on peut également citer les tremblements de terre de Taïwan qui ont endommagé 9 câbles en 2006 ou les éruptions sous-marines qui ont coupé en janvier 2022 les deux câbles reliant les îles Tonga au reste du monde. Des requins ont également été observés mordant des câbles sous-marins, attirés par les perturbations émises par le câble.
Le risque malveillant
Depuis toujours, la neutralisation des communications de l’ennemi permettait de gagner un avantage certain dans les guerres. Ainsi, au tout début de la Première Guerre Mondiale, un navire britannique a sectionné les 11 câbles sous-marins qui reliaient l’Allemagne aux États-Unis et au Royaume-Uni.
En novembre 2024, deux câbles de communication sous-marins ont été sectionnés en mer Baltique. Cette coupure a perturbé les communications de l’Allemagne à la Finlande et de l’île suédoise de Gotland à la Lituanie. Les enquêtes ont rapidement mis en évidence l’implication d’un navire chinois, le Yi Peng 3. Ce navire est accusé d’avoir délibérément traîné son ancre sur une distance de 160 km pour endommager les câbles. Les autorités finlandaises et allemandes ont identifié ce navire comme responsable, et des soupçons pèsent sur une opération de sabotage orchestrée par la Russie.
En 2013, l’armée égyptienne a annoncé l’arrestation de trois plongeurs accusés d’avoir coupé un câble internet sous-marin au large d’Alexandrie, dans le nord de l’Égypte. Les trois hommes, repérés par la marine à bord d’un petit bateau, ont été interceptés après une course-poursuite. La marine avait été alertée par Telecom Egypt d’une coupure du câble SMW-4, ce qui a perturbé les communications internationales et l’accès à Internet.
Cependant l’isolation complète d’un pays en coupant tous les câbles sous-marins le reliant à l’extérieur paraît peu probable aujourd’hui. En effet, il y a 100 ans, cela était courant, mais les communications passant par ces câbles n’étaient utilisées que par une partie très restreinte de la population et ne servaient que des intérêts hautement stratégiques (diplomatiques ou économiques). Aujourd’hui, l’intégralité de la population civile est dépendante de ces communications intercontinentales.
De plus, Internet est omniprésent et indispensable au fonctionnement de toutes les technologies du quotidien. En Europe, la majorité des appareils connectés à Internet a besoin de pouvoir communiquer avec les États-Unis pour fonctionner. Ainsi, la coupure de l’intégralité des câbles transatlantiques conduirait à un arrêt de l’intégralité des services civils (production électrique, transport, hôpitaux, chaîne d’approvisionnement des supermarchés, etc.) et serait donc vraisemblablement considérée comme un crime de guerre. Cela dissuaderait donc un État de mener ce genre d’attaque. Cependant, une organisation terroriste pourrait vouloir mener ce genre de projet.
Au total, 25 câbles relient le continent européen aux Amériques dont 15 aux États-Unis. La coupure simultanée de la majorité de ces câbles permettrait de mettre quasiment hors service Internet en Europe. Le coût et la complexité de l’action sont assez minimes par rapport aux effets engendrés. Cela pourrait expliquer la méconnaissance de ces câbles auprès du grand public, qui ont tout intérêt à ne pas être trop connus.
En France, c’est la Marine Nationale qui est responsable de la sécurité des câbles branchés en France. Les quatre câbles reliant la France aux États-Unis (Amitié, Dunant, Apollo, FA-1) représentent à eux seuls plus de 25 000 km à surveiller, ce qui est physiquement impossible, même pour un État.
Le risque d’espionnage
En haute mer
Le grand public imagine que des États disposant de hautes capacités sont capable d’espionner les câbles en haute mer. Mais ce fantasme semble impossible au vu des contraintes techniques. Tout d’abord, il faut parvenir à accéder la lumière passant dans la fibre, sans sectionner la fibre ni le tube de cuivre qui l’entoure et alimente le câble. De plus, tout contact entre le cuivre et l’eau de mer entrainerait un court-circuit détectable depuis la terre. Ainsi, la présumée opération d’espionnage doit être réalisée hors de l’eau.
Cependant, le câble est tendu au fond des océans et ne dispose donc pas de suffisamment de mou pour être émergé. Les opérations très complexes à réaliser sur les câbles doivent donc être réalisées à plusieurs kilomètres de fond, dans une chambre parfaitement étanche. Enfin, en supposant que l’attaquant connaisse la technologie de modulation utilisée par les stations terrestres, il devra connecter la fibre à un important calculateur pour avoir la puissance de calcul permettant de traiter le débit titanesque passant dans le câble. Pour toutes ces raisons, l’écoute en haute mer semble quasiment impossible.
Cela ne signifie pas pour autant que les États n’écoutent pas les câbles sous-marins.
Aux États-Unis et Five Eyes
Les révélations d’Edward Snowden en 2013 ont dévoilé l’ampleur de la surveillance mondiale exercée par les États-Unis et leurs alliés des Five Eyes (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni). Les câbles sous-marins jouent un rôle indispensable dans ces opérations de surveillance.
En effet, la NSA (National Security Agency) utilise des programmes comme PRISM et UPSTREAM pour intercepter les communications via les câbles sous-marins. Un rapport de la BBC révèle que la NSA a accès à des points d’interception physiques où les câbles sous-marins atterrissent sur le territoire américain. Ces points d’interception sont souvent situés dans des installations sécurisées où les données peuvent être copiées et analysées. La NSA collabore également avec des entreprises de télécommunications pour accéder aux données transitant par les câbles sous-marins.
De plus, les Five Eyes partagent des informations et des ressources pour surveiller les communications internationales. Par exemple, le GCHQ britannique collabore avec la NSA pour intercepter les données transitant par les câbles atterrissant au Royaume-Uni, notamment via le programme TEMPORA. Ces révélations ont mis en lumière l’importance stratégique des câbles sous-marins dans la surveillance de masse et ont incité de nombreux pays à renforcer la protection de leurs communications.
En France
Avant la construction du South Atlantic Cable System reliant l’Angola au Brésil en 2018, l’intégralité des communications entre l’Afrique et les Amériques devait transiter par l’Europe. Le plus gros nœud raccordant l’Afrique est Marseille, avec ses 11 câbles qui relient aujourd’hui le continent africain. Les communications du Moyen-Orient vers les États-Unis ont également beaucoup de chance de passer par l’Europe car c’est la route la plus équipée et donc la plus efficace. La France et le Royaume-Uni sont historiquement les deux façades reliant l’Europe à l’Amérique du Nord, aujourd’hui rejointes par l’Espagne et le Portugal. On voit donc que, du fait de sa position géographique et de son passé, la France voit transiter une partie considérable du trafic mondial à destination des États-Unis, notamment le trafic venant du Moyen-Orient et du Sahel. On comprend donc le potentiel stratégique que représenteraient les écoutes de ces communications.
La France, via la DGSE, a mené des opérations de surveillance étendues des câbles sous-marins depuis 2008, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, puis reconduites sous François Hollande en 2013. Ces opérations ont permis d’intercepter des données provenant de régions stratégiques comme les États-Unis, l’Afrique et le Moyen-Orient, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et de la collecte d’informations diplomatiques et économiques. Le projet, d’un montant de 700 millions d’euros, a impliqué l’installation de stations d’écoute près des points d’atterrissement des câbles en France, notamment à Marseille et à Saint-Valéry-en-Caux.
En collaboration avec Orange, la DGSE a pu filtrer et stocker ces données massives, utilisant des centres de données parmi les plus avancés d’Europe pour les analyser. Ce processus, qui dépasse le cadre des interceptions téléphoniques classiques, a nécessité un ajustement législatif pour être encadré, via la création de “fiches pays” et “fiches thématiques”, permettant de réguler l’espionnage de certaines zones géographiques et sujets spécifiques, comme le terrorisme.
La surveillance des câbles sous-marins a aussi soulevé des questions sur la protection des données françaises, les procédures de traitement des informations interceptées n’étant pas toujours transparentes. Enfin, un accord de coopération signé en 2010 entre la France et le Royaume-Uni a permis l’échange de données entre la DGSE et le GCHQ, renforçant la coordination entre les services de renseignement des deux pays.
Danemark face à l’Europe
Le Danemark a joué un rôle clé dans la surveillance menée par la NSA sur l’Europe, notamment grâce à son emplacement stratégique qui lui permet de contrôler certains des câbles sous-marins vitaux pour les communications internationales. Depuis les années 1990, le Danemark, via son service de renseignement militaire (Forsvarets Efterretningstjeneste - FE), a fourni un accès privilégié à ces câbles qui relient l’Europe aux États-Unis, facilitant ainsi l’espionnage massif des communications entre les deux continents. Cet accès a été particulièrement stratégique pour la NSA, qui a utilisé le réseau de câbles sous-marins pour surveiller des personnalités politiques européennes, notamment entre 2012 et 2014.
Le rôle du Danemark dans cette coopération secrète a été renforcé par son appartenance aux “Third Party Nations”, un cercle d’États non-membres des “Five Eyes” mais ayant des relations de renseignement particulièrement étroites avec les États-Unis. Ce partenariat a permis à la NSA d’installer un centre de données à Copenhague, sur l’île d’Amager, un site idéalement situé pour intercepter les câbles sous-marins traversant la mer du Nord. À partir de ce centre, les services de renseignement américains ont pu analyser les communications collectées, y compris des SMS, des appels téléphoniques et des échanges en ligne de hauts responsables politiques, dont la chancelière allemande Angela Merkel.
L’ampleur de cette coopération, couplée aux révélations d’un rapport interne de 2013, a mis en lumière la participation active du Danemark dans la surveillance de ses alliés européens. Le pays a ainsi servi de base pour des écoutes massives, ce qui a provoqué un tollé au sein de l’Union européenne. Des pays comme la Suède, la Norvège, la France et l’Allemagne ont exigé des explications, soulignant l’ampleur de la violation de la confiance entre alliés. Bien que cette coopération ait permis au Danemark de bénéficier d’informations privilégiées et de renforcer ses relations avec Washington, elle a également exposé le pays à des tensions diplomatiques avec l’UE.
Ces pratiques de surveillance sont loin d’être nouvelles. Elles s’inscrivent dans une tradition d’espionnage des États-Unis sur leurs alliés européens, amorcée après la fin de la guerre froide et amplifiée après les révélations d’Edward Snowden en 2013. Malgré les critiques, il semble que le Danemark ait privilégié ses intérêts géopolitiques et sa relation avec les États-Unis, au détriment de ses obligations envers l’Union européenne et de la protection de la confidentialité des communications internationales.
La législation sur les écoutes des câbles
L’écoute des câbles sous-marins, qui assurent la majorité des communications mondiales, est encadrée par plusieurs législations internationales et nationales visant à protéger ces infrastructures critiques. Au niveau international, la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) de 1982, aussi appelée « Convention de Montego Bay », impose aux États de sanctionner toute détérioration intentionnelle ou négligente des câbles sous-marins. Bien que son article 113 vise surtout leur protection physique, il peut être interprété comme incluant les interceptions non autorisées.
En France, le « Code des postes et des communications électroniques » interdit toute écoute non autorisée des réseaux de télécommunications, y compris ceux transitant par les câbles sous-marins. Le Code pénal prévoit également des sanctions pour toute atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données, ce qui englobe l’interception illégale de communications. Malgré ces cadres législatifs, des cas d’espionnage ont été révélés, comme, évoquée précédemment, l’utilisation d’infrastructures danoises par des agences américaines pour intercepter des communications transitant par l’Europe.
Ces incidents illustrent la vulnérabilité des câbles sous-marins et la nécessité d’un renforcement juridique et technique pour garantir la confidentialité des communications internationales face aux menaces croissantes d’espionnage.
Conclusion
Les câbles sous-marins sont des infrastructures essentielles, reliant les continents et assurant l’essentiel des communications mondiales. Cependant, ils sont au cœur de tensions géopolitiques croissantes, exposés à des menaces allant du sabotage à l’espionnage. Leur protection devient ainsi un enjeu stratégique majeur, impliquant à la fois des États, des entreprises privées et des régulateurs internationaux.
Face à ces défis, la mise en place de cadres législatifs plus stricts et le développement de technologies de surveillance et de sécurisation sont indispensables. Mais à l’ère de la numérisation croissante et de la montée en puissance des cyberattaques, la question se pose : les États pourront-ils réellement garantir la souveraineté de ces infrastructures face à des acteurs toujours plus sophistiqués ?
Sources
Figure 1 - Carte générale des grandes communications télégraphiques du monde de 1901
Figure 2 - Composition d’un câble sous-marin
Figure 3 - Les acteurs du marché des câbles sous-marins
Figure 4 - La flotte mondiale de navires câbliers
Figure 5 - Carte des câbles sous-marins de 2025
• L’aventure du câble transatlantique, ARTE, 2024, https://www.youtube.com/watch?v=PM1q7MKh598
• Internet n’existerait pas sans ces câbles sous-marins, Techup, 2022, https://www.youtube.com/watch?v=z4m3YCVyUSs
• Les Câbles Sous-Marins : des infrastructures vitales !, Télécom Paris Alumni, 2021, https://www.youtube.com/watch?v=tmPlxbZ7gRc
• Comment poser un câble de 3000km pour relier deux continents, Monsieur Bidouille, 2021, https://www.youtube.com/watch?v=nfcwlIQyzW0
• Du télégraphe à Internet : l’incroyable histoire des câbles sous-marins, Les Echos, 2021, https://www.youtube.com/watch?v=j07V-P7-MBo
• https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A2ble_sous-marin
• https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A2bles_t%C3%A9l%C3%A9graphiques_transatlantiques
• https://atlantic-cable.com/
• https://www.submarinecablemap.com/
• https://www.lesechos.fr/2017/07/la-somalie-est-coupee-dinternet-depuis-plus-de-deux-semaines-175985, La Somalie est coupée d’Internet, Les Echos, 2017
• https://www.paca.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/f09320p0130_recours_etude_d_incidence_peace_med.pdf, Etude d’incidence pour l’installation et l’atterrage du câble sous-marin de télécommunication PEACE MED à Marseille, Orange, 2020
• https://www.thedailystar.net/business/news/submarine-cable-breakdown-disrupts-bangladesh-internet-3591151, Submarine cable breakdown disrupts Bangladesh internet, The Daily Star, 2020
• https://institut-rousseau.fr/cables-sous-marins-les-nouveaux-pouvoirs-des-geants-du-numerique/, Câbles sous-marins : les nouveaux pouvoirs des géants du numérique, 2020,
• https://www.lemonde.fr/pixels/article/2024/11/21/cables-sous-marins-endommages-en-mer-baltique-pourquoi-l-etau-se-resserre-autour-du-bateau-chinois_6407425_4408996.html, Dans l’affaire des câbles sous-marins endommagés en mer Baltique, l’étau se resserre autour du bateau chinois « Yi-Peng 3 », 2024
• https://www.theregister.com/2014/11/26/snowden_doc_leak_lists_all_the_compromised_cables/, Snowden doc leak lists submarine’d cables tapped by spooks, 2014
• https://www.bbc.com/news/world-us-canada-23123964, Edward Snowden: Leaks that exposed US spy programme, 2014
• https://www.nouvelobs.com/societe/20150625.OBS1569/exclusif-comment-la-france-ecoute-aussi-le-monde.html, EXCLUSIF. Comment la France écoute (aussi) le monde
• https://www.lemonde.fr/international/article/2014/03/20/dgse-orange-des-liaisons-incestueuses_4386264_3210.html, Espionnage : comment Orange et les services secrets coopèrent
• https://www.dailymotion.com/video/x81sg4m
• https://theconversation.com/operation-dunhammer-le-cheval-de-troie-danois-en-europe-163467
• https://youtu.be/j07V-P7-MBo
• https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/espionnage-les-cables-sous-marins-qui-auraient-permis-aux-etats-unis-decouter-leurope_4645383.html
